Le Vert, le Mythe et les Subventions
Sous le vernis vert, la facture grise
Depuis dix ans, nous n’avons cessé d’entendre que les énergies renouvelables étaient les plus compétitives, les plus propres, les plus modernes — bref, la voie lumineuse d’un avenir radieux. Si c’est vrai, pourquoi diable s’y opposer ?
En y regardant de plus près, nous verrons que ce refrain, repris en boucle et sans nuance, repose en réalité sur un art consommé de la prestidigitation budgétaire : tout a été entrepris pour effacer les subventions du champ de vision…
Le vert, couleur du brouillard comptable
Pendant des années, l’argumentaire vert a fonctionné par effacement comptable :
les coûts de raccordement au réseau ? Externalisés ;
les compensations pour intermittence ? Dissimulées dans les lignes “flexibilité” ;
les taxes carbone ? Présentées comme “neutres” ;
les achats garantis à prix fixe sur 15 ou 20 ans ? Transformés en “stabilité réglementaire”.
Grâce à ce subtil cocktail de tours de passe-passe et de calculs biaisés — comme les fameux LCOE (Levelized Cost of Energy) qui oublient opportunément le coût du système et les effets de l’intermittence — le solaire devenait subitement “moins cher que le charbon”, et l’éolien “plus compétitif que le nucléaire”.
Ce miracle tient en réalité moins à la technologie qu’à la comptabilité créative, laquelle relègue hors du champ visible tout ce qui pesait réellement sur la facture.
Mais le vent tourne et certains faits autrefois mis de côté apparaissent au grand jour. Le Tony Blair Institute for Global Change vient par exemple de révéler que la part des subventions aux renouvelables dans la facture d’électricité britannique a plus que doublé entre 2015 et 2024, passant de 8,5 % à près de 20 % de la facture.
Il va plus loin et explique que ce n’est plus le gaz, ni le marché mondial, qui font exploser la facture, mais bien le coût interne du modèle lui-même. L’électricité devient chère parce qu’elle est subventionnée de façon inflationniste. Même lorsque les prix de gros retombent, les coûts fixes des subventions ne diminuent pas. Ils s’accumulent.
Pendant des décennies, les prix de l’électricité de la GB restaient proches du reste de l’Europe. Aujourd’hui, les factures des ménages sont 20 % plus chères que la moyenne des grandes économies européennes, et celles des industriels 90 % plus élevées.
Et ces subventions ne représentent qu’une partie du problème. En réalité l’électricité “verte” paraît abordable, à condition d’oublier le prix du câble. Car dans le même temps, le réseau électrique, conçu pour une production centralisée, doit être intégralement réaménagé pour accueillir la variabilité du vent et du soleil.
Pour maintenir le mythe de la “compétitivité renouvelable”, l’Europe a ainsi inventé une autre ruse comptable : soustraire du calcul les coûts de réseau — ces dépenses pourtant indispensables pour relier les parcs éoliens et solaires aux consommateurs.
L’occultation organisée des coûts de réseau
En France, cette dissimulation est institutionnalisée. Le raccordement des éoliennes offshore n’est par exemple pas payé par les développeurs privés, mais par RTE, le gestionnaire public du réseau de transport. Ainsi, lorsqu’on annonce que l’électricité d’un parc offshore sera “vendue à 45 € le MWh”, on oublie de dire que son branchement à la côte, son poste de conversion et sa ligne à très haute tension sont payés par les usagers eux-mêmes, via les tarifs d’accès au réseau. D’ici 2040, RTE prévoit un investissement de 37 milliards d’euros rien que pour l’éolien en mer …
Ce tour de passe-passe permet d’afficher un prix de production artificiellement bas — et de socialiser ce qui devrait être un coût industriel.
En Allemagne, l’illusion prend des proportions encore plus spectaculaires.
Selon une étude récente de la Fédération allemande des chambres de commerce et d’industrie, les coûts annuels du réseau électrique vont presque doubler d’ici 2035 : de 120–130 milliards d’euros par an aujourd’hui, ils atteindront près de 230 milliards chaque année entre 2030 et 2034, voire 260 milliards si les baisses de coûts technologiques se révèlent moins rapides que prévu.
Et pourtant, ces sommes colossales ne figurent dans aucun discours politique, ni même dans le calcul du “prix de l’électricité verte”.
De Paris à Berlin, la logique est identique : les réseaux servent de paravent budgétaire. Ce sont pourtant eux qui absorbent les surcoûts d’un système fondé sur la dispersion géographique et l’intermittence.
Un peu partout les coûts de réseau explosent. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le prix des câbles électriques pour réseaux de transport a presque doublé entre 2019 et 2024, tandis que celui des transformateurs a grimpé de 75 %.
Le cuivre, l’acier, les composants électroniques, tout flambe. La fabrication d’un seul transformateur haute tension, qui prenait autrefois six mois, nécessite aujourd’hui plus d’un an et demi — faute de capacités suffisantes. Chaque pylône, chaque câble, chaque sous-station sera financé par les tarifs d’acheminement, c’est-à-dire… par la facture d’électricité. Ces affaires ne sont pas un détail : c’est le cœur du modèle.
Alors qu’elle était historiquement inférieure à 20 % des factures électriques dans la plupart des pays, la part du réseau atteint déjà ~25-30 % dans plusieurs États membres de l’UE. Et selon les projections, elle pourrait grimper jusqu’à 40 % à moyen terme, sous l’effet des investissements massifs dans les infrastructures nécessaires... Cette occultation a une vertu politique : elle maintient la fiction d’une compétitivité verte.
Le paradoxe du prix vert
Ce graphique résume l’un des plus grands malentendus économiques de la transition énergétique: il montre que plus la part du solaire et de l’éolien augmente dans le mix électrique d’un pays, plus le prix de l’électricité pour les ménages tend à s’élever.
La tendance est sans équivoque : entre 2023 et 2025, les pays les plus avancés dans l’implantation des énergies dites “vertes” — Danemark, Allemagne, Pays-Bas — sont aussi ceux où l’électricité est la plus chère.
Cela ne signifie pas que le vent ou le soleil “causent” mécaniquement la hausse des prix, mais qu’ils s’accompagnent d’un cortège de coûts structurels : investissements massifs dans les réseaux, mécanismes de soutien public, coûts d’équilibrage et fiscalité compensatoire.
Il faut donc bien garder à l’esprit que le prix du kilowattheure “vert” ne reflète pas seulement son coût de production, mais celui du système entier nécessaire pour le rendre disponible à tout moment. Et c’est par cette auscultation volontaire que pendant des années, les gouvernements ont pu affirmer — avec la bonne conscience du slogan — que “les renouvelables sont désormais moins chères que les fossiles”.
Mais on l’a compris, cette “compétitivité” repose sur un tour de passe-passe comptable : les coûts de stabilité et de réseau ont été transférés vers les factures, les taxes et les subventions. Le coût n’a pas disparu : il a simplement changé de colonne.
Ce graphique devrait être affiché dans chaque ministère de l’Énergie d’Europe.
Il rappelle une vérité simple et taboue : le prix de l’électricité n’est pas celui du mégawattheure, mais celui de la stabilité du système. Et qu’à force de confondre coût unitaire et coût réel, la transition énergétique a réussi une forme de magie budgétaire : faire passer l’intermittence pour la prospérité — jusqu’à ce que la facture arrive !
Une dissimulation méthodique
L’Europe entière a perfectionné l’art de rendre les coûts difficilement lisibles.
L’illusion d’une transition “compétitive” repose non pas sur une baisse réelle des prix, mais sur un déplacement méthodique des charges : du producteur vers le réseau, du réseau vers le budget public, et du budget public vers le contribuable.
En Allemagne, la taxe EEG (Umlage) finançait les producteurs renouvelables à hauteur d’environ 27 milliards € par an. Mais lorsque son poids est devenu politiquement insoutenable, elle n’a pas été supprimée mais transférée au budget fédéral. Autrement dit, les ménages ne la voient plus sur leur facture, mais la paient désormais via l’impôt. La subvention ne disparaît pas : elle change juste d’adresse.
Partout, la méthode est la même et le vocabulaire fait écran: changer le nom pour préserver la croyance. Le mot “subvention” a peu à peu disparu au profit d’un lexique anesthésiant : “fonds d’innovation”, “mécanisme de soutien”, “obligation de service public”, “taxonomie durable”… Toute dépense devient vertueuse par essence, et toute évaluation de coût-efficacité passe pour indécente. Derrière cette stratégie, il y a une constante : éviter la visibilité politique. L’Europe a déplacé les dépenses, pas les coûts.
En réalité, le système est désormais entièrement circulaire : les États subventionnent la production, financent les réseaux qui la rendent possible, garantissent les prix de rachat, puis soutiennent les consommateurs face à la hausse des tarifs engendrés par ces mêmes subventions. On comprend que le système actuellement en place se nourrit de ses propres effets : chaque distorsion appelle une compensation, chaque compensation devient un nouvel argument pour renforcer le dispositif.
Dans cette architecture circulaire, chacun a intérêt à entretenir l’illusion :
Les gouvernements, parce qu’ils peuvent afficher une “énergie verte bon marché” tout en reportant les coûts sur la dette, la fiscalité ou les réseaux publics.
Les industriels du renouvelable, parce qu’ils vivent d’un flux continu d’incitations, de tarifs garantis et de mécanismes de soutien ; sans eux, nombre de projets ne seraient pas viables.
Les gestionnaires de réseaux, parce que chaque nouvelle contrainte technique (intermittence, dispersion géographique, besoin de flexibilité) justifie des investissements massifs — donc des budgets croissants.
Les banques et fonds d’investissement, parce que cette “transition subventionnée” offre un rendement quasi garanti par la puissance publique.
Ainsi, le “modèle vert” s’est transformé en machine à rente déguisée en vertu : chacun y trouve son compte tant que la croyance tient.
Le retour du refoulé
Le rêve d’une “transition douce” se mue en cycle inflationniste permanent. Chaque crise de prix, chaque hiver tendu, justifie un plan de soutien, donc une subvention nouvelle. Longtemps minimisées, ces subventions reviennent désormais sur le devant de la scène, non plus comme un détail technique, mais comme une bombe budgétaire.
Les États, confrontés à la dette, à la hausse des taux et à la colère sociale, n’ont plus les moyens de financer « quoiqu’il en coûte » la transition, et chacun découvre que ce qui avait été vendu comme une “compétition de marché” se révèle être une économie administrée, où les prix, les volumes et les gagnants sont fixés par décret.
Au fond, toute l’idéologie verte reposait sur un triptyque :
Les renouvelables sont moins chères ;
Le marché est la solution ;
Ne pas aller plus vite, c’est être contre la planète.
Or, chacune de ces propositions dans les faits vacille :
Les renouvelables ne sont “moins chères” qu’à condition que quelqu’un d’autre en paie la différence...
Le marché n’est libre que parce qu’il est maintenu sous perfusion publique.
Et le soupçon de “climatoscepticisme” sert désormais de paravent à une crise de légitimité économique : on n’ose plus discuter des chiffres, car cela reviendrait à profaner la croyance…
Le tableau d’ensemble est celui d’une Europe qui se verdit à crédit, subventionne son propre déclassement industriel, et s’étonne ensuite de voir les États-Unis et la Chine rafler les bénéfices de ses lacunes…
Les subventions ne sont pas en soi un mal. Elles peuvent accélérer l’innovation, corriger des déséquilibres ou amortir les transitions.
Mais leur prolifération silencieuse et leur mésusage dissimulé en font un mensonge économique et un leurre politique. Ce ne sont plus des outils, mais des anesthésiants collectifs : elles dissimulent les coûts, entretiennent la croyance, et différèrent indéfiniment le moment de vérité: la transition verte est tout sauf bon marché !
Ainsi, on a transformé un système économique opaque en catéchisme moral, où la fausse vertu maquille la réalité et le doute méthodique devient blasphème. Mais lorsque le mythe s’effrite et que le coût devient visible, c’est toute la foi qui vacille…
L’Europe voulait bâtir un avenir propre ; elle découvre qu’elle a construit un système cher, fragile et sous perfusion où l’énergie verte ne brille plus de promesse, mais d’illusion… CT









